En ce début d’année, c’est l’avenir que nous mettons en scène avec nos vœux : nous allumons des « possibles chatoyants » chez nos interlocuteurs ! On se souhaite du succès, des conquêtes…mais dans quel but ?
Et si nos souhaits à l’aube de 2023 consistaient à « mettre en valeur » ce qui va garantir le futur ? Et si nous donnions envie à chacun de participer à des actions de réparation, d’entretien, de régénération pour faire durer les objets, les services et les milieux qui soutiennent nos vies… ?
« La maintenance est la face sensible de l’amour » (Ursula Fanthorpe, poète britannique, 1929-2009)
Jérôme Denis et David Pontille, chercheurs rattachés au Centre de sociologie de l’innovation de Mines Paris-PSL, nous offrent un livre très inspirant pour cet exercice et intitulé Le soin des choses : Politiques de la maintenance. Ils proposent de transférer notre attention sur les coulisses de nos voitures, de nos smartphones, des infrastructures de distribution de l’eau, du gaz., etc., pour nous faire réaliser le caractère névralgique du maintien de ces services. En parfaite illustration, les dysfonctionnements de l’hôpital aujourd’hui montrent la nécessité de réinvestir les « fonctions vitales » qu’il importent de sortir de l’invisibilisation ! Pour les auteurs, il nous faut « cultiver une attention sensible à la fragilité, inventer au jour le jour une diplomatie matérielle qui résiste au rythme effréné de l’obsolescence programmée et de la surconsommation ». Sortir de la fiction de l’autonomie technologique et de l’externalisation des coûts ! Voila bien une posture de résistance !
Inversion d’attention
Et voici que Luc Aquilina, hydrogéologue à Rennes, nous donne quelques clés pour « entrer en zone critique » à la façon de Bruno Latour qui nous a quittés fin 2022. Il met en œuvre des outils pour permettre aux « terrestres » de reprendre pied sur leur territoire et d’en définir les contours, ce qui leur est essentiel. « Par exemple, pour simuler pour un territoire donné l’impact du changement climatique dans le futur, nous choisissons de simplifier certains aspects physiques du milieu afin de pouvoir changer facilement les scénarios des pratiques agricoles, de l’évolution du paysage. On peut ainsi analyser les données économiques ou sociales qui résultent des scénarios établis avec les acteurs », explique le chercheur. Le modèle n’est plus un outil d’expert, mais un outil de dialogue, un petit « parlement des choses » pour reprendre les mots de Latour dans Politiques de la nature (2004) ; ici, il s’agit de « rendre visibles les imbroglios des hybrides, des réseaux, des interactions... » (Habiter la Terre, 2022).
Mettre en valeur le soin et la réparation
La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury proposait en juin 2022 la même inversion d’attention : « La catastrophe vient que l’on se veut toujours plus de bien, au service du confort humain tout en mettant à sac la planète. Une envie insatiable de bien-être devient une conception invertie du progrès. » Elle considère que la fabrique de l’obsolescence fonde l’esprit du capitalisme et nous pousse à penser les choses (et les personnes) comme remplaçables. Le véritable progrès serait de nous rendre capables de soin, d’attention, de « mise en valeur » de la réparation, pour « faire quelque chose de la vulnérabilité ».
L’art japonais du Kintsugi, qui souligne les cassures en les recouvrant d’or, procède de cet état d’esprit. Plus prosaïquement, toutes les économies qui cherchent à cerner, atténuer, compenser, réparer nos impacts, évoluent dans cette direction. Si classiquement, tout chef d’entreprise sait qu’il faut prévoir les coûts d’amortissement de son matériel, il est désormais vital de prévoir les coûts d’amortissement des communs (climat, eau, sols, air, ressources vivantes, ressources minérales…) qui entrent dans la fabrication de nos produits.
Financer le maintien des équilibres planétaires comme on gère un capital
Il y a de l’inédit dans cette priorité. La nouveauté aujourd’hui, ce n’est pas le métavers (et la perversion d’un remplacement) mais bien plutôt la « prise en compte » des vivants dans nos projets. Et cela peut nourrir nos imaginaires… Notre plus vif souhait pour 2023 est bien de voir fleurir quantité d’initiatives orientées vers la contribution au maintien des communs. Premier exemple de l’année, les entreprises, telle la MAIF, qui inventent des « dividendes écologiques » en consacrant au moins 10% de leurs résultats à la planète (pour la MAIF, cela représente 10 millions d'euros en 2022).
Dans le même esprit, la transition écologique des organisations peut s'accompagner d'une intégration dans leurs comptes des coûts sociaux et environnementaux découlant de leurs activités, afin de les inciter à réduire ces coûts et, par là, les dommages sociaux et écologiques. C'est ce que l'on appelle la comptabilité écologique ou socio-environnementale. Celle-ci doit-elle rester une technique au service d'une gestion rationnelle des actifs des organisations ? Ou doit-elle contribuer à remettre en question la prégnance du modèle économique libéral qui, comme l'a montré l’économiste hongrois Karl Polanyi dans « La grande transformation » (1944), a transformé les sociétés humaines et leur environnement en marchés, entraînant d'énormes dégâts collatéraux ? Une technique comptable aurait-elle, d'ailleurs, un tel pouvoir ?
A TEK4life, nous pensons la comptabilité socio-environnementale comme l'ingrédient fondamental d'une nouvelle responsabilité des organisations. Elle les engage à adopter un régime de soutenabilité écologique « forte » prenant en compte les limites planétaires. Dans un tel régime, la compensation d'un dommage social ou écologique par l'argent ne peut être qu'une voie extrême, alors qu'elle est devenue la règle avec la généralisation du principe pollueur-payeur (voir à ce sujet la synthèse de la « Fête à Pigou »).
Évidemment, cette position fait débat. Les formations organisées par TEK4life s'y prêtent parfaitement en alternant exposés de connaissances, analyses et discussions. La prochaine formation aura lieu le 9 mars et le 30 mars 2023 sur le thème « Piloter son organisation en intégrant ses empreintes écologiques ». Dans un premier temps, le 9 mars, nous verrons comment situer une organisation dans ses dépendances socio-environnementales et comment mesurer ses impacts. Puis, le 30 mars, il s'agira de relier les impacts aux modèles d'affaires, de voir comment les intégrer dans les comptes et de discuter la portée de cette intégration comptable en termes d'adaptation stratégique des organisations.
N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations !
Pour vous inscrire à la formation du 9 et 30 mars,
suivez ce lien ou Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..
A noter dans l’agenda la première session de l’Alliance ComptaRegéneration (ACR) pour cette année, le 31 janvier, qui traitera de l’eau, ce commun vital qui a besoin d’une économie de sobriété et de régénération. D’autres sessions aborderont le paysage européen du débat sur la soutenabilité forte, la mise sous condition des investissements, la considération d’entités naturelles comme contreparties juridiques des personnes morales.
Tout en poursuivant notre diagnostic des besoins de formations en mesure d’impact et comptabilités écologiques, avec le projet Ebemice mené pour la Caisse des dépôts et l’Agence Nationale de la Recherche, nous lançons également avec notre partenaire, le fonds d’investissements 2050 Commons, l’accompagnement de filiales vers la comptabilité socio-environnementale.
Toute l’équipe de TEK4life vous adresse ses vœux de participation au soin et à la régénération !